Tribune FIBD juin 2021
par le collectif AAA
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Madame la Ministre,
Cher Festival d’Angoulême,
Il y a un an, le rapport Racine – après les États Généraux de la Bande Dessinée 4 ans plus tôt – soulignait avec acuité les tensions persistantes au sein de la chaîne du livre et la précarité grandissante des autrices et auteurs. Ce rapport préconisait un positionnement de l’État en tant que régulateur effectif du secteur qui permette de reconnaître la « carrière artistique comme métier et pas seulement comme vocation ».
Au moment même où l’édition 2020 du Festival connaissait l’expression sans précédent du ras-le-bol des autrices et auteurs, près de 1400 d’entre eux signaient une tribune où ils annonçaient le boycott d’évènements à venir, si rien n’était fait pour rééquilibrer la répartition des revenus au sein de la chaîne du livre. Pas encore tout à fait enterré, le rapport Racine remettait en plein jour l’effarant et scandaleux trou noir que constituait la gestion des cotisations des autrices et auteurs par l’Agessa depuis 40 ans. Dès janvier 2020, le transfert administratif du recouvrement de l’Agessa vers l’Urssaf Limousin donnait lieu à des situations individuelles tellement absurdes qu’elles semblaient nées sous la plume d’un René, Goscinny ou Pétillon. Elles ne relevaient malheureusement pas de la fiction.
Le 30 octobre dernier, Florence Cestac, Catherine Meurisse, Régis Loisel et Jul démissionnaient de leurs fonctions de parrains de l’Année de la BD initiée par le Ministère pour dénoncer « l’incohérence et les contradictions des choix politiques à l’égard de la culture et des métiers du livre en ce temps de pandémie ».
Si l’année 2020 a été tragiquement pourrie par le Covid, ce dernier n’aura finalement fait qu’agir comme un révélateur social, une loupe grossissante de rapports de force et de maux qui lui préexistaient.
Nous, tout premiers producteurs et productrices de la chaîne du livre, autrices et auteurs de bande dessinée mais aussi, plus largement, créateurs, créatrices et professionnel•les du livre, artistes plasticien•es, sommes maintenus dans un angle mort dont nous refusons la fatalité.
Nous, autrices, auteurs, professionnel•les du langage, ne supportons plus celui, double, qui nous est tenu, non plus que le déni récurrent qui est opposé sans cesse à notre travail et à notre fonction.
Double langage et déni quand le Festival d’Angoulême, dont la stature internationale appelle l’exemplarité, et la SNCF, son partenaire, se refusent encore cette année même à rémunérer les autrices et auteurs dont elles exposent le travail dans les gares de toute la France, alors que chacun des autres professionnels associés à cette tâche y prélève son dû.
Double langage et déni lorsque, madame la Ministre, vous répétez à l’envi, dans les médias, votre amour des artistes et la sincérité de votre engagement. Comme la visibilité dans les gares, l’amour et la sincérité n’ont jamais payé aux autrices et aux auteurs aucun loyer ni mis de beurre dans aucun épinard. Des aides, ponctuelles, données à quelques-uns, selon des critères et des procédures souvent obscurs, ne peuvent en aucun cas tenir lieu de politique publique du livre sur le long terme. Depuis le rapport Racine, rien n’a changé pour nous et notre statut.
Le poète Reverdy l’a dit avant nous : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ».
C’est pourquoi, nous, autrices et auteurs signataires de cet appel, appliquerons le boycott total du versant public du Festival d’Angoulême, en juin prochain, si aucun acte réel et concret n’est posé d’ici là, à l’endroit de notre statut professionnel, de notre représentation et d’un juste rééquilibrage de la chaîne du livre dont l’État et votre gouvernement ne peuvent rester les simples observateurs.
Sans autrices, sans auteurs, pas de bande dessinée !
Signataires de la Tribune AAA 2021
À ce jour la tribune a recueilli signatures