Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle concernant les auteurs et autrices de bande dessinée

Chère candidate ou candidat,

La réflexion concernant la position des différents acteurs et actrices de la chaîne du livre, et pour ce qui nous concerne, de la bande dessinée, nous a conduit au constat suivant : nous avons, d’un côté, des entreprises de la chaîne du livre — édition, diffusion, distribution — évoluant dans un contexte de marché libéral et capitaliste, se trouvant dans l’obligation de respecter un équilibre entre frais de fonctionnement et chiffre d’affaires afin de pérenniser leurs structures. De l’autre côté, nous avons des autrices et auteurs qui sont des artistes mais aussi des travailleuses et travailleurs, et qui à ce titre sont légitimes à vivre dignement d’un travail complexe exigeant des qualifications élevées.

Dans le contexte d’une baisse du lectorat de la bande dessinée francophone — baisse qui est à relativiser cependant — la tension entre ces protagonistes se fait de plus en plus aigüe. Nous nous trouvons maintenant devant une population d’autrices et d’auteur paupérisée, sans marges de négociation face à des entreprises ayant pour but d’assurer leurs bénéfices dans un contexte concurrentiel. On peut évidemment tenter, pour traiter ce problème, de mettre l’accent sur le dialogue, mais il semble illusoire d’espérer que la bienveillance et l’éthique des maisons d’édition, des structures de diffusion et de distributions, soient seules suffisantes pour réguler cette situation structurellement déséquilibrée.

Si la haute administration considère la bande dessinée comme un bien de consommation semblable à un autre, elle peut attendre placidement que ce marché s’auto-régule, laissant s’opérer la sélection parmi les autrices et auteurs de littérature graphique, jusqu’à l’obtention d’une offre adaptée aux consommateur·ices, constituée des seules meilleures ventes en grande surface.

Mais nous voulons croire au contraire que la puissance publique pense le livre comme un bien culturel indispensable à une société démocratique, libre et éclairée. Cet écosystème graphique est un outil d’éducation mais aussi un trésor artistique incomparable. Le livre est une chance pour notre pays, la vitalité de la bande dessinée participe à son rayonnement culturel international.

Aussi, pour préserver cette vitalité, la collectivité doit, pensons-nous, prendre ses responsabilités en mettant en place une vraie politique d’aide aux autrices et auteurs de bande dessinée.

Pour déblayer le terrain nous nous permettons de proposer les quelques pistes de réflexion suivantes aux candidats :

  • Que les représentants en charge des questions culturelles du futur gouvernement endossent le rôle de réel·les partenaires et médiateurs et médiatrices lors des négociations entre organisations représentatives des auteurices et des maisons d’édition ;
  • La prise en compte dans la Loi du statut particulier des auteurs et autrices de bande dessinée, qui n’est ni celui des indépendant·es (car un ouvrage de bande dessinée nécessite des mois voire des années pour sa réalisation), ni celui des salarié·es ; ceci de façon à équilibrer le rapport auteurice/maison d’édition ;
  • La mise en chantier de sujets comme celui de la durée de cession des droits patrimoniaux, en s’inspirant d’exemples étrangers, notamment celui de la législation allemande sur le droit d’auteur ;
  • La mise en place des mécanismes de redistribution semblables à ce qui se fait dans d’autres industries culturelles comme le cinéma — par exemple en prélevant un pourcentage de la diffusion-distribution au profit des autrices et auteurs ;
  • L’exigence, à l’égard des maisons d’édition, d’une totale transparence de leurs comptes vis-à-vis des auteurs et autrices — en leur communiquant des éléments comme : une version standardisée pour la profession des comptes d’exploitation ; le seuil de rentabilité de leur ouvrage, et quand il a été atteint ; à tout moment, le nombre d’exemplaires effectivement vendus, etc., informations indispensables à l’autrice et à l’auteur dans l’exercice de sa profession pour faire des choix qui décideront des suites de sa carrière, mais qui lui sont pourtant la plupart du temps difficiles d’accès.

Bien entendu, cette liste est non exhaustive, elle sera à affiner avec nos syndicats et organisations représentatives.

Nous croyons donc qu’un pouvoir public à l’écoute, audacieux et inventif disposerait en réalité d’une grande marge de manœuvre pour améliorer la situation des auteurs et autrices de bande dessinée en France.

Devons-nous laisser mourir ce trésor artistique, parce qu’un marché aveugle a décidé que seules les grosses ventes en supermarché étaient dignes d’exister ? Voulons-nous laisser une population d’artistes talentueux gagner en moyenne moins que le seuil de pauvreté pour un travail exigeant à temps plein, sans couverture maladie efficace ?

Nous invitons donc toutes les candidates et les candidats à l’élection présidentielle de 2022, à nous faire part publiquement de leur projet concernant la politique culturelle, et en particulier en ce qui concerne la relation entre les maisons d’éditions et les autrices et auteurs de bande dessinée.

Sans autrice, sans auteur, pas de bande dessinée.

Autrices Auteurs
en Action.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.