Cher Festival International de la bande dessinée d’Angoulême,
Nous vous remercions pour votre réponse.
Vous soulignez dans votre courrier les égards dont a fait preuve le festival en mentionnant « le vote protestataire » dans son communiqué. Nous nous en félicitons, tout en regrettant que vous n’ayez pas fait preuve des mêmes égards au moment d’annuler le festival prévu ce mois de juin, reléguant à des communiqués secondaires la menace de boycott (formulée deux années de suite !) et son rôle éventuel dans votre décision.
Vous rappelez également l’historique du Grand Prix et mettez en valeur votre volonté, en 2016, de le réformer pour donner aux auteurices le droit d’élire le ou la lauréate. Est-il utile de rappeler ici le rôle déterminant du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme pour parvenir à cette nouvelle règle à laquelle vous étiez opposé ? Les règlements existent pour pouvoir évoluer.
Dans cette logique, on aurait pu espérer que cette élection du Grand Prix 2022 serait particulière.
Deux ans après une intervention spectaculaire des auteurices à bout de forces sur scène lors de la remise de prix, ponctuée par un appel au boycott si rien ne change, deux ans également après la remise au ministère du rapport Racine, l’Auteur et l’acte de création, porteur de nombreux espoirs d’amélioration pour les créateurs et créatrices — rapport qui, après être passé d’un ministre à une autre, a finalement accouché d’une souris — nous avons avec le collectif AAA appelé à voter pour l’auteur du rapport, Bruno Racine.
Comme vous l’avez compris, cet appel n’était nullement destiné à torpiller l’élection en question ni le festival d’Angoulême auquel nous avons manifesté en bien des occasions notre attachement. Il était destiné à alerter les pouvoir publics. Et pour ça, quoi de mieux que la plus grande caisse de résonance qui soit ?
C’est notre rôle de saisir tous les leviers qui se présentent. Et malheureusement, ils sont rares. Par votre position inégalée en France, par votre travail main dans la main avec les collectivités, les différents acteurs du secteur et les ministères, vous représentez un levier incontournable. Vous pourriez le prendre comme un compliment !
Vous êtes bien entendu tenus de remplir votre rôle à vous, qui est, pour l’élection du Grand Prix, de faire élire un Grand Prix. Mais nous osons croire qu’il ne s’arrête pas là : d’ailleurs, votre courrier mentionne à plusieurs reprises votre volonté de soutenir les auteurs et autrices.Mais alors jusqu’où va cette volonté ? Se borne-t-elle à mettre en valeur les lauréats, à exposer les meilleurs livres, à donner votre autorisation de laisser les auteurs et les autrices s’exprimer dans les médias ?
Ce premier tour du vote pour le Grand Prix n’aurait-il pas pu être une occasion parfaite de montrer réellement votre soutien à tous les créateurs et toutes les créatrices, en rendant les résultats plus transparents — quitte à déroger à la sacro-sainte règle — et en joignant la voix du Festival à celle des 1 200 auteurices qui souhaitent cesser de voir leurs conditions de travail et de subsistance s’aggraver d’année en année dans la plus grande indifférence ?
Mais non : le vote Racine est annulé. Les Autrices et Auteurs en Action en prennent acte, félicitent les trois finalistes et ne perturberont pas plus cette élection. Nous regrettons toutefois que le festival n’ait pas su saisir cette occasion pour formuler de réelles propositions en leur faveur, au-delà de l’expression de sa bonne foi. Propositions qui auraient pu prendre, par exemple, la forme d’un fauve honoraire à Bruno Racine pour son action en faveur de la BD, comme la promesse de tables rondes entre les syndicats d’auteurs et le SNE par exemple sur le statut de l’auteur, le contrat de commande, le revenu « fixe », etc. Il y avait — et il y a toujours — tant de façons de le faire.
Les AAA demandent maintenant des actes. Et concrètement, pour l’édition 2022 du FIBD et toutes les suivantes, l’application de tous les points de la chAAArte, y compris la rémunération de la présence des auteurs et autrices invitées par les éditeurs adhérents au SNE, et ceci non par une hausse du prix du billet d’entrée, mais par un financement tripartite festival, SNE, CNL ou SOFIA par exemple.
Nous sommes confiants dans le fait que la chAAArte puisse être appliquée puisque certains festivals recevront très prochainement le label chAAArte BD et festivals.
Les AAA ont conscience que le point de blocage concernant le financement du SNE n’est pas du ressort décisionnaire du Festival d’Angoulême. Charge à lui de convaincre ce partenaire avec qui il a des liens de longue date. La présente réponse est d’ailleurs tout autant adressée au SNE qu’au FIBD !
Les auteurs et autrices ne sont pas des enfants ni des artistes évaporés, mais des professionnels honorables, devant pouvoir vivre dignement de leur travail, et dont la place est au centre de la chaîne du livre et des politiques culturelles.
Sans autrices, sans auteurs, pas de livres, pas de BD, pas de FIBD.